A la limite de l'imperceptible. Expérience visuelle qui questionne notre regard et nos attentes.

Chaque photographie utilisée est l'instant d'un lieu immortalisé, autrement dit un moment éphémère capturé comportant sa propre localité, temporalité, histoire, sa propre singularité. Tous ces instants de lieux cumulés en un même espace constituent une sorte d'archive, de strates temporelles de lieux et moments que je fusionne en un même espace et moment. Avec mon système de construction, j'abolis chaque caractéristique propre de chaque lieu originellement photographié en les confondant et les brouillant entre eux, prêtant ainsi de nouvelles propriétés au lieu qui seraient la somme de toutes ces singularités et caractéristiques confondues. Il y a un brouillage temporel et spatial qui nous échappe quand on est face à l'image finale produite. Une dialectique de la division et du rassemblement s'opère dans l'image, je construis et déconstruis l'espace. Je construis avec le lieu vierge -la toile vide- qui est une surface et territoire d'assemblage pour la création d'un « lieu de lieux » à partir d'images préalablement déconstruites par fragmentation. C'est une réarticulation de l'espace.

J'introduis un mouvement subtil et lent dans l'image en faisant se confondre voire « dissoudre » des images entre elles, dotées d'une même unité chromatique et d'une même forme globale. L'image devient alors labile, des écarts se créent mettant en tension les images les unes par rapport aux autres. Via les rencontres qui s'opèrent par transparence se créent du commun : les images se réfléchissent l'une dans l'autre à travers des failles qui s'ouvrent dans l'image. En émerge alors une infinité de nouvelles images par l'exploration de cet « entre » partagé où un déploiement de l'infini par l'infime a lieu.
Ce déploiement de l'image (du lieu et du temps par dilatation) n'est perceptible que si l'on change notre manière d'aborder l'oeuvre, il faut prendre le temps de s'imprégner, ressentir le trouble, comprendre ce qui perturbe et dérange pour saisir le propos. On peut très facilement passer à coté du caractère mouvant de l'image.

La notion d’expérimentation du lieu se fait à travers ce temps dilaté. Le lieu est marqué d'une mémoire mais ici le système se renverse par le temps passé devant l'oeuvre : c'est le lieu qui vient s'ancrer et imprégner notre mémoire. C'est une expérience sensible au delà de la simple visibilité. Le visible est ce qui dissimule le réel devenu invisible. Mes vidéos l'illustrent par ce temps dilaté qui « empêchent » de voir ou donnent l'impression de ne rien voir. L'oeuvre devient un seuil perceptif qui teste les limites de nos sens, notre capacité à démêler le vrai du faux, la fiction de la réalité. En venant perturber les frontières de la temporalité une dialectique de l'absence et de la présence prend place : il y a le temps présent (celui du regard) et passé (celui des lieux photographiés), l'absence de quelque chose à voir et tout à y voir, des lieux présents (par fragmentation) et pourtant absents en tant que tels. Et dans cet absence-présence s'immisce l'attente qu'on a dans ce qu'on veut voir.

Il y a un désir d'ouvrir le regard comme j'ouvre l'espace et le temps à travers mes productions. En réunissant des espaces, je forme un espace plus grand, plus ample et ouvre alors celui-ci par effet de dilatation, tout comme je procède avec le temps.

Un temps d'adaptation est nécessaire pour acclimater son regard à ce flux lent. C'est une expérience sensible qui emporte le spectateur. Il n'est pas question d'une simple contemplation, le spectateur expérimente le lieu. L’expérience devient immersive parce qu'autant émotionnelle que physique : le spectateur est projeté dans un environnement dont le mode opératoire entre fusion et tension introduit à la fois une inclusion et une distance ; on est dans une attitude réflexive et critique autant que contemplative. Le spectateur se laisse entrainer, séduit par l'image tout en cherchant ce qui le dérange dans cette apparente fixité de l'image, l'explication à cette vibration ressentie. Le regardeur est ainsi projeté dans un espace singulier qui donne corps à une nouvelle expérience du monde par l'activation de ces « strates » temporelles et spatiales. Il y a par ailleurs tout un paradoxe dans la contemplation où plus l'oeil va se balader dans l'image (comme il a lieu de le faire habituellement face à une œuvre bidimensionnelle) moins il va en saisir le mouvement, tandis que s'il fixe un point et fait abstraction du reste il va alors pouvoir percevoir le mouvement.
Métamorphosis
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